Note
« Oh là là le problème ce sont les 35h, il faut travailler plus pour produire plus. »
Juste comme ça, voici les stats de l'OCDE sur les heures travaillées : https://data.oecd.org/fr/emp/heures-travaillees.htm
Le travailleur moyen fait 1520 heures par an en 2018.
C'est moins que les 1607 heures légales. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1911
Si on part sur la base de 46 semaines travaillées (ce qui semble être le cas dans le calcul des 1607 h), cela nous donne 33 h par semaine. On est, en moyenne, en dessous des 35 h.
Ce qui signifie que si le problème vient vraiment des 35 h, alors son envers est le temps partiel. Cela fait depuis la moitié des années 1970 qu'on travaille moins que la moyenne. Ce ne sont donc pas les 35 h qui ont engendré un problème. Par contre, on voit nettement la dégringolade depuis 1950, puis la stabilisation depuis le début des années 2000.
Autrement dit : avant de réformer les 35 h, embauchez à temps plein.
Autre chose, ce graphique me semble assez significatif. En rouge les heures travaillées en France, en noir la moyenne de l'OCDE.
De deux choses l'une : ou bien la dégringolade a été stoppée parce qu'elle a atteint une sorte de seuil (on ne peut pas travailler moins, quoi qu'on fasse), ou bien les 35 h ont stabilisé cette courbe. Quand je dis que cette dégringolade ne semble pas due aux 35 h, c'est que, toutes choses étant égales par ailleurs, le volume des heures travaillées a diminué ces 65 dernières années.
Prenez la population active de 1954 : https://www.persee.fr/doc/estat_0423-5681_1955_num_10_10_9013
Dans le premier cas, réformer les 35 h ne devrait a priori pas avoir d'effet puisque cette dégringolade ne semble pas due aux 35 h. Dans le second cas, réformer signifie reprendre cette dégringolade. On a « perdu » 8 % d'heures sur le volume, et l'on a « gagné » 40 % de travailleurs.
Autrement dit, on fait MOINS d'heures avec BIEN PLUS de travailleurs. 19,1 millions (j'enlève les chômeurs du décompte [331 500]). Cela représente 44,4 milliards d'heures.
En 2019, on en trouve 26,9 millions. Environ 40,9 milliards d'heures. Cela explique mécaniquement ce qu'on observe à côté : augmentation du temps partiel, de la précarité, explosion du chômage. Si le problème était dû aux 35 h, il faudra m'expliquer pourquoi, avec autant de travailleurs supplémentaires, nous n'arrivons pas à faire le même nombre d'heures en volume, tout en étant pas en récession (pas de perte de productivité). L'explication la plus probable est qu'il s'agit là des effets de la technique, qui tend à augmenter la productivité dans le même temps qu'elle diminue le volume d'heures nécessaires.
Mettre tous les actifs à temps plein ne suffirait pas à remonter au niveau de 1954. Il faudrait embaucher 700 000 personnes, soit le double des emplois non-pourvus d'après Pôle emploi.
Mais même si l'on n'admet pas cette hypothèse, cela montre qu'il n'y a de moins en moins de travail, puisqu'on perd en heures tout en étant obligé de les répartir sur bien plus de travailleurs. Donc si vous pensez qu'il faut réformer les 35 h, alors on se retrouvera avec des chômeurs supplémentaires et du temps partiel précaire.
Voilà le point où je voulais en venir : quel que soit l'angle sous lequel vous abordez la chose, on se retrouve avec des chômeurs et précaires par nécessité. Pas parce qu'ils sont fainéants ou qu'ils n'ont pas travaillé à l'école. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas. L'augmentation du travail et la fainéantise des chômeurs, c'est une idéologie. Un système de valeurs contredites par les faits mais auquel vous adhérez pour votre propre servitude. C'est de la morale d'esclave, quel que soit la façon dont on l'aborde. Je dis qu'il y aura toujours une plus grande partie de nécessaire. Ce n'est pas en réformant les 35 h ou l'assurance chômage qu'on reviendra au point d'il y a 60 ans.
(Je ne reviendrai pas sur la société duale de Gorz, mais on semble être en plein dedans ici.)
Cela ne serait pas un problème, si en avançant cette idéologie vous ne marchiez pas sur les crânes de ceux qui n'ont rien. Si, en alimentant votre propre servitude vous ne meniez pas une guerre contre tout un pan de la société, dont les conséquences sont mortelles. Factuellement, vous êtes les instruments d'une prise d'otage touchant à la survie même des individus qui n'ont pas le privilège que vous avez. Il serait temps d'en prendre conscience, #LaPrecariteTue
Du coup cela participe à une sélection a priori de celle du marché du travail. Les internes rebelles, ceux qui comprennent le mieux les mécanismes de fonctionnement du monde et qui sont donc les plus à même de réussir dans l'université moderne, sont marginalisés. De sorte qu'un tel dispositif participe pleinement à ce que Alain Deneault pointe comme l'université qui tend à vendre ses étudiants comme des produits à l'entreprise, ce que Lyotard montrait déjà à son époque en constatant la fin de l'université moderne se réclamant du projet des Lumières (accomplissement de soi par le savoir). Mais là je ne parle que du côté « sélection des plus motivés » du truc.
Sur le côté travail camouflé coupant l'herbe sous le pied à de réelles questions de salaire (des étudiants mais pas que), il y aurait à dire également.
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