« Le travail est une catégorie capitaliste », par Anselm Jappe - Critique de la valeur-dissociation. Repenser une théorie critique du capitalisme

Alors, pour avoir lu le bouquin de Jappe et avoir discuté avec son auteur (il venait régulièrement donner un séminaire dans l'université où j'étudiais), je peux dire ceci.

Tout le boulot de Jappe sur le travail vient de la Wertkritik, la Critique de la Valeur, un courant de pensée venant de penseurs allemands et se basant sur une lecture rigoureuse du seul premier chapitre du Capital de Marx. Le livre de Jappe, Les aventures de la marchandise est un résumé succinct de ces travaux, et je ne peux que conseiller la lecture de La substance du Capital de Robert Kurz (qui, en français, a d'ailleurs une préface de Jappe).

Cependant, plusieurs problèmes sont soulevés par cette exégèse. J'en ai montré quelques-uns dans mon ouvrage L'accumulation par les affects (https://editions.yom.li/livres/l-accumulation-par-les-affects), et une critique très intéressante est sortie après mon livre chez Michael Heinrich.

Bref, si la Wertkritik a le mérite de s'éloigner de la lecture « classique » de Marx telle qu'opérée par les marxistes « orthodoxes » (comme l'écrit Jappe), elle n'est pas sans apories, et d'autres interprétations sont plus à même de les résoudre. Gardez toujours une distance critique, y compris avec la critique.

Bidenomics Has a Mortal Enemy, and It Isn’t Trump - nytimes.com

Des nouvelles des États-Unis :

The most recent data shows that the top 1 percent now owns 31.4 percent of American wealth, more than that of the entire bottom 90 percent.

L'article du NY Times s'appuie sur ces données entre 1975 et 2018, mais les données du graphique sont de 2023.

Part de la richesse des ménages par centile en 2023. 1% les plus riches = 31.4%, 90-99% = 37.6%, 50-90% = 28.6%, < 50% = 2.5%

Un effondrement de la productivité des salariés français en trompe-l’œil

La baisse de la productivité depuis la crise covid n'est qu'apparente : les salariés ne sont pas moins productifs. Cette baisse apparente va se résorber et la productivité va remonter à la hausse comme elle le faisait. Le chômage devrait également repartir à la hausse, en toute logique.

Travail : l’insolence envers son patron n’est pas une faute, selon la Cour de cassation - Le Parisien

En revanche, harceler son patron pour obtenir un avantage éventuellement indu, même en connaissance de cause, ou insister pour le faire changer d’avis, ou encore utiliser un ton polémique, irrespectueux, inadéquat au regard de la hiérarchie, ne sont pas des abus de la liberté d’expression qui justifieraient une sanction.

Un salarié a donc obtenu gain de cause alors qu’il avait été licencié après avoir harcelé son directeur pour obtenir des congés auxquels il n’avait pas droit puisqu’ils ne correspondaient pas à ceux prévus par un accord d’entreprise. On lui reprochait d’avoir insisté, par de nombreux messages irrespectueux, traitant son dirigeant d’égal à égal, voire en subordonné. « Je considère que l’incident est clos », avait notamment écrit ce salarié, prenant de haut le dirigeant, après avoir finalement obtenu ce qu’il réclamait.

Capitalisme américain - Histoire | ARTE

Y a mon père qui me prévient qu'il y a une série sur le capitalisme américain sur Arte en ce moment : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-024313/capitalisme-americain/

Il regarde et me dit : « c'est rigolo, dans le premier épisode ils ont utilisé la même photo que toi pour un de tes bouquins. » J'ai pas encore regardé, mais je suppose que c'est celle du mémoire de 2019 : https://editions.yom.li/livres/la-lib%C3%A9ration-par-la-machine-un-regard-nietzsch%C3%A9en

J'avais passé une bonne semaine à farfouiller les archives jusqu'à tomber sur cette série de photos capturant le travail des enfants, faites en 1908 pour le National Labor Committee américain par le sociologue Lewis W. Hine.

J'avais trouvé ces illustrations parfaites, pour la bonne raison que je parlais du travail des robots ; or étymologiquement, le robot a une origine commune avec l'orphelin, le jeune enfant esclave, dont la même racine proto-indo-européenne donnera… l'Arbeit allemand, le travail. Quoi de mieux pour parler du travail chez Nietzsche, et de sa conception maître-esclave que j'appliquais à la machine ? Étrangement, depuis 2019, je n'ai croisé cette série de photos que deux fois : dans un documentaire Arte (encore) et sur la couverture d'un livre sorti après, les deux sur le capitalisme. Comme quoi…


Édit 14 novembre : le livre en question est Abolir l'exploitation, de Emmanuel Renault, sorti le mois dernier aux éditions La Découverte (https://www.editionsladecouverte.fr/abolir_l_exploitation-9782348081040), qu'il me tarde de lire.

Ζευς ♃💫~Nocline~✨~🐾♎ sur Twitter : "#LRT On est en train de faire tout le contraire de ce que Cyrulnik a tenté de porter devant Sarkozy il y a des années pour les petites classes et des conceptions de Jacquart dans les années 90. Le savoir doit être élargi dans une compréhension globale de l'individu, et non par"

Le problème est plus profond encore, c'est limiter son champ de vision que de penser cette transition comme seulement « former des individus pour un travail ». Le problème vient de la conception même du travail, en amont, et c'est bien pourquoi on ne peut infléchir cette transition en aval.

Je m'explique, en reprenant les dernières pages de Henri Arvon (La philosophie du travail, PUF, 1960) : « Le loisir ne s'oppose au travail technique que dans la mesure où celui-ci prétend à lui seul libérer l'homme. […] S'il est vrai que l'homme conquiert la nature par son travail, sa liberté ne s'y épuise pas. La nature est un piège qui lui est tendu. Au-dessus d'elle s'élève le royaume de la beauté et de la vérité qui recèle les mystères de la vie. La grandeur du loisir est d'y donner accès à tous. Pour définir le mot loisir, on a coutume de partir de sa racine latine licet qui exprime la liberté de faire ce que l'on veut. Ne vaut-il pas mieux rappeler que les Grecs le nommaient scholé, mot qui en français a donné le terme d'école, et que le mot latin ludus a le double sens de jeu et d'école ? »

Le problème principal est bien cette conception du travail comme libération, que l'on entend dans tous les discours politiques depuis des décennies, et plus encore cette prétention du travail à être l'unique épuisement de la liberté, en une vue totalisante. Ce n'est donc pas étonnant que sur le terrain de l'école cette conception se heurte à celle du loisir, étymologiquement plus proche, conceptuellement plus à même d'y recueillir la liberté, et historiquement dernier bastion de l'activité de l'esprit. Le travail emprisonne l'esprit, voire l'annihile, le loisir le libère.

Si l'on veut préserver une école libre formant des citoyens libres, c'est à la conception erronée du travail, et aux conditions dans lesquelles s'exerce ce dernier qu'il faut s'attaquer. Remettre du loisir au cœur du travail, ne plus les opposer comme deux objets extérieurs l'un à l'autre mais les réunir. Là, le travail perdrait son caractère aliénant, mais également il ne serait pas besoin de détruire l'école.

C'est, somme toute, une philosophie sociale de l'otium que j'esquisse ici à grands traits, et je ne veux pas être pris dans un effet de grossissement qui consisterait à dire qu'en réglant la question du travail on règlerait tous les maux de la société, mais ce n'est pas loin. Les questions politiques de la forme de gouvernement, d'un modèle juste (république ? démocratie participative ? monarchie ? élection ?) passent aisément au second plan ici. Que m'importe d'être en monarchie si je suis libre et même, comme le rappelle La Boétie, si je suis plus libre à mesure que je suis éloigné du tyran dans la hiérarchie ? Réglons le problème du travail, de sorte d'avoir, pour reprendre la formule de Nietzsche, les deux tiers de la journée pour soi-même, il sera bien temps à ce moment-là de penser l'abolition de la monarchie républicaine, l'instauration de la VIe République, la dictature du prolétariat ou que sais-je.

Le problème, c'est que cette question du travail est depuis si longtemps hors-débat public qu'elle n'est même plus un tabou ; elle n'existe tout simplement plus. Jadis, syndicats comme marxistes avaient le mérite de la faire exister (maladroitement la plupart du temps, mais elle était présente). À présent, on se contente de questions de gestion du travail : coût du travail, diminution ou augmentation des salaires et cotisations, etc. On veut récupérer sur la fraude fiscale sans jamais évoquer l'idée toute bête qu'au lieu de récupérer ce qui nous est dû on pourrait faire en sorte que ces fraudeurs aient moins à la base (distribution primaire). Alors plonger plus profond encore dans les conditions de l'exercice du travail, c'est tout simplement impensable.