Fray Bartolomé de las Casas, par Félix Parra (1845–1919).

La Controverse de Valladolid

Ce roman met en scène le débat entre le moine dominicain Bartolomé de Las Casas et le chanoine Juan Ginés de Sepúlveda. Le prétexte officiel du débat est la mise ou non à l’Index, c’est-à-dire l’interdiction, du livre Democrates alter, sives de justis belli causis (Des Justes Causes de la Guerre) de Sepúlveda. Étant donné que le livre de Sepúlveda suscite un vif débat, ne pas le placer à l’Index reviendrait presque à l’approuver selon l’Église.

Cependant, tous reconnaissent que l’enjeu réel est bien plus vaste : répondre à la question fondamentale de savoir si les Indiens d’Amérique ont une âme capable de rédemption. En pratique, une réponse positive conduirait à l’interdiction de leur esclavage, tandis qu’une réponse négative l’approuverait. La thèse de Sepúlveda soutient que les Indiens sont des créatures que les chrétiens ont le droit et le devoir de soumettre par la force. Las Casas, ayant vécu parmi les Indiens, défend l’idée qu’ils sont des êtres humains ayant les mêmes droits que les Européens.

Dans un style simple et concis, dépourvu de fioritures, Jean-Claude Carrière présente la controverse qui a légitimé l’esclavage des Noirs africains et le commerce triangulaire. Le lecteur est rapidement immergé dans ce roman avec l’impression de suivre un documentaire. Le choix du temps, le présent de l’indicatif, ainsi que les nombreuses incises de l’auteur pour fournir des détails et des explications sur les personnages, jouent un rôle significatif. Comme l’exprime Carrière lui-même :

L’intervention d’un légat du pape, l’apparition des colons, des Indiens, la concordance chronologique entre les décisions finales, tout cela je l’ai inventé, en essayant de rester près du vraisemblable, en tout cas du possible. Je n’ai eu pour intention que de soumettre un récit diffus à une dramaturgie, que de tendre et durcir l’action. La vérité que je cherche dans le récit n’est pas historique, mais dramatique.

Mes libertés s’arrêtent là. Pour tout le reste, qui constitue évidemment l’essentiel ― les épisodes de l’histoire et les arguments échangés ―, j’ai suivi scrupuleusement tout ce que j’ai pu lire et apprendre. Je n’ai rien inventé dans les considérations théologiques, raciales et culturelles. J’ai même serré de près le vocabulaire1.

Ainsi, au lieu de critiquer l’incohérence de l’intervention de bouffons dans un couvent allant jusqu’à mimer un acte de fornication d’un moine sur une reine, il est nécessaire d’examiner de plus près les arguments échangés par les deux parties.

Tout d’abord, il est à noter que tous ces arguments reposent sur la religion chrétienne. Ainsi, si l’on exclut Dieu, tout l’édifice s’effondre.

Les Indiens méritent leur sort parce que leurs péchés et leur idolâtrie sont une offense constante à Dieu. […] Aussi, en fin de compte, a-t-il décidé de les punir. Et les Espagnols sont le bras de Dieu dans cette guerre, comme ils l’ont été contre les Maures2.

Sepúlveda, fervent admirateur d’Aristote, emprunte à ce dernier sa classification des hommes pour décrire les Indiens comme des sous-hommes, proches des animaux, dépourvus de raffinement, d’art, dociles, et donc en tant qu’esclaves attendant depuis des siècles leurs maîtres espagnols. Ils sont également présentés comme des fornicateurs, des sodomites travaillant dans les mines d’argent et d’or où les Espagnols les font travailler (sic !), et des idolâtres cannibales de surcroît. En somme, leur adoration de Quetzalcóatl s’expliquerait par le fait qu’il représente le démon, le serpent à plumes associé au Serpent tentateur de l’Ève en Éden.

Une autre fois, j’ai vu un soldat, en riant, planter sa dague dans le flanc d’un enfant, et cet enfant allait de-ci de-là en tenant à deux mains ses entrailles qui s’échappaient3 !

Las Casas, plus humaniste, argue que les Indiens sont nos semblables et que, en tant que tels, la Bible imposant d’aimer son prochain, il est impératif de laisser les Indiens en paix, de se retirer des terres conquises pour ne conserver que des comptoirs marchands. Il expose les atrocités commises par les Espagnols à l’encontre des Indiens, pillant, violant et tuant simplement pour le plaisir. Las Casas oppose à Sepúlveda un art aztèque décrit par Cortés comme très précis, une architecture impressionnante, un calendrier plus rigoureux que le calendrier grégorien et enfin un système d’imposition perfectionné.

Il est intéressant de noter que Las Casas et Sepúlveda s’accordent sur un point : il est impératif de sauver les âmes des Indiens en leur apportant la vraie foi. Si une controverse existe, c’est sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à cette christianisation. Sepúlveda prône la « guerre juste », tandis que Las Casas est convaincu qu’il faut le faire pacifiquement.

On peut établir un parallèle avec les guerres contemporaines. Bien que rédigé en 1992, La Controverse de Valladolid met en lumière deux points cruciaux : l’égalité de tous les hommes, tous aimés de Dieu, et la justification des guerres idéologiques.

Ce texte constitue donc une référence pour ceux qui souhaitent étudier l’évolution des argumentaires et des idées égalitaristes, ou simplement pour approfondir une question politique et idéologique à l’époque de Charles Quint.

Références


  1. Carrière, Jean-Claude, La Controverse de Valladolid, Paris, Pocket, 2008, note au lecteur. ↩︎

  2. Sepúlveda dans ibid., ch. 5. ↩︎

  3. Las Casas dans ibid., ch. 3. ↩︎


Citer cet article : Guillaume Litaudon, « La Controverse de Valladolid », Yomli (ISSN : 2592-6683), 14 septembre 2009.