Note

« Le travail ne s'accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu'on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort, un privilège dont on exclut plusieurs êtres humains du fait même qu'on en jouit […] » — Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934

Si je la cite comme ça, c'est qu'elle donne dans l'introduction l'une des thèses qui sera développée par André Gorz dans Métamorphoses du travail… 50 ans plus tard.

Or la thèse de Gorz repose sur des mutations techniques qui auraient eu lieu durant ces 50 années. Ça met un peu de plomb dans l'aile de cette thèse, il faudra l'appuyer davantage si on veut l'utiliser.

L'autre chose à remarquer, c'est qu'en 1934 il y a certes un bond du chômage, mais que ça reste peanuts par rapport à ce qu'on a connu depuis. Les sources vont entre 340 000 et 500 000 chômeurs, selon les méthodes de calcul. Sur une population active entre 20 et 21 millions de personnes, c'est peu.

Sauf que. En réalité si l'on jette un œil aux stats du chômage partiel, on peut redresser le tout.

« L'aggrégation du chômage recensé et du chômage partiel aboutit à un taux […] de 10,1 % en 1936, soit une situation très proche de ce qui prévalait en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. » https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1996_num_52_1_3561

Voilà notre agrégat de chômeurs et de précaires qui constitue, avec les travailleurs privilégiés, la société duale de Gorz. Je ne dis pas que Gorz a tort, mais qu'il y a chez lui une répétition, si ce n'est une réactualisation, d'un moment qui a déjà existé sous une autre forme.


La phrase d'après est pas mal non plus : « Les chefs d'entreprise eux-mêmes ont perdu cette naïve croyance en un progrès économique illimité qui leur faisait imaginer qu'ils avaient une mission. »

Ah. Ah. Ah. On est 85 ans après, hein.

« Le progrès technique semble avoir fait faillite, puisque au lieu du bien-être il n'a apporté aux masses que la misère physique et morale où nous les voyons se débattre ; au reste les innovations techniques ne sont plus admises nulle part, ou peu s'en faut, sauf dans les industries de guerre. »

Partagé sur Internet avec un ordinateur. Là est la limite de Weil.


« Enfin la vie familiale n'est plus qu'anxiété depuis que la société s'est fermée aux jeunes. La génération même pour qui l'attente fiévreuse de l'avenir est la vie tout entière végète, dans le monde entier, avec la conscience qu'elle n'a aucun avenir, qu'il n'y a point de place pour elle dans notre univers. »

La question que je pose c'est : Weil écrit durant une crise. Est-ce que le fait qu'on y trouve un portrait si saisissant de notre propre époque est dû à la répétition d'une crise de même forme ou à la durée de celle-ci ? Dit autrement : est-ce qu'elle peint le tableau d'un capitalisme intempestif, ou simplement d'une crise économique ?

Précarité : près de 20 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté - Le Monde

Note sur la méthode de calcul. Sachant que dans les faits des parents ne vont pas nécessairement aider leur enfant (et allez faire un procès à vos parents...), on peut dire qu'il s'agit de l'estimation basse.

Et voilà ce qu'il faut répondre aux boomers. Biais du survivant, toussa...

Note

J'viens de penser à un truc là. Lorsque l'on dépose de l'argent à la banque, on perd la propriété de cet argent au profit de la banque, qui nous est alors redevable (elle a une dette envers nous, matérialisée par le relevé de compte en tant que reconnaissance de dette). Jusque-là, ça s'accorde assez aux théories économiques sur la monnaie.

La question que je pose c'est : dans ce cas, pourquoi on paie des frais bancaires ? Vous en connaissez d'autres des échanges économiques où l'on paie pour que l'autre soit propriétaire de l'un de nos biens ?

En y réfléchissant, ça ressemble à un système mafieux : payer pour que l'autre soit en dette (dette de « protection » dans le cas de la mafia).

Du coup, si l'on creuse cette idée, la sécurité assurée par un État à qui l'on paie des impôts, c'est un système mafieux. C'est là la thèse de pas mal de libertariens. Les impôts, c'est du vol comparable à celui d'une mafia.

Et c'est là qu'on peut faire le chemin inverse : si tu es libertarien et que tu penses ça, pourquoi tu laisses de l'argent sur ton compte en banque ? Étrangement, vous verrez moins de libertariens contre les banques de dépôt que vous en trouverez contre les impôts. Je comprends pas trop pourquoi du coup.

Du coup, si l'on voit les choses avec cette perspective, cela signifie que les frais de tenue de compte dévaluent la dette. Il faut sans cesse recréer de la dette en ajoutant de l'argent sur le compte, de sorte que les frais « réels » de la tenue de dette dans le temps sont en réalité le double de ceux annoncés. Je dépose 100 €, frais de tenue de compte de 10 €/mois, au bout de 10 mois la banque n'a plus de dette envers moi. Si je veux pérenniser cette dette dans le temps, c'est-à-dire faire en sorte qu'elle continue de me devoir 100 €, je dois rajouter 10 €/mois. Total 20 €/mois.

Est-ce que je suis le seul à voir à quel point c'est dingue d'avoir de la dette as a service ?

Note: Avengers Endgame

Je regarde Endgame. Y a un truc que je pige pas. Spoilers obviously. Thanos a viré la moitié des gens pour sauver l'univers d'un désastre écologique. Même Captain dit qu'il voit des baleines dans l'Hudson, que l'eau est plus saine. Donc Thanos a sauvé l'univers du désastre. Tout le monde est d'accord avec ça. C'est objectivement quantifiable et le film en est pleinement conscient. Pourtant, l'objectif du film c'est de défaire tout ce qu'a fait Thanos sans s'occuper une seule seconde de ce désastre écologique.

Genre, c'est très exactement comme si mettons José Bové tuait la moitié de la planète pour la sauver du réchauffement climatique. Que tout le film consistait à ramener tout le monde, et à faire la fête en mode fuck la planète on s'en fout du réchauffement climatique. Et, je le répète, le film est CONSCIENT de ça, sinon la remarque sur les baleines de Steve ne serait pas présente. Mais à aucun moment il ne se dit "tiens et on va leur mettre le nez dans la merde". Non. Le plus gros film de l'année est une fête en faveur du désastre écolo.