Note: Match des intelligences, retour

Et à ce petit jeu, Raphaël Enthoven l'a emporté haut la main. D'après notre journaliste Paul Larrouturou, qui a suivi l'événement pour LCI (à retrouver ce jeudi à 11h sur le canal 26), le philosophe a mis 1 heure 30 pour disserter et rendre une copie parfaite : 20 sur 20. Le robot, lui, n'a eu besoin que d'une minute et 30 secondes pour terminer son rendu. Mais le résultat - honorable - est deux fois moins bon : 11 sur 20.

Donc tous les medias sont là à dire qu'un philosophe est plus intelligent que ChatGPT. Aucun pour remarquer que :

  1. Il y a aucun honneur à battre un premier jet brut de ChatGPT, qui comme je l'ai déjà dit, demande à être raffiné. Apparemment ils ont juste entré le sujet et roule ! C'est pas un match digne de ceux que l'on a connus, où l'IA a été spécifiquement entrainée à jouer aux échecs ou au go. Là c'est un modèle de langage générique, il n'y a donc pas à fanfaronner.
  2. Avec 11/20 juste en entrant le sujet, sans entraînement spécifique ni travail derrière, ChatGPT peut avoir son bac de philo. Il y a une sérieuse question à se poser sur cette épreuve, et notamment sur le mode de la dissertation comme privilégiant le baratin. Et c'est un philosophe ayant un cursus similaire à Enthoven qui vous le dit.

Note: Voire!

Pendant des années, j'ai cherché dans quel livre j'avais appris l'orthographe et la signification de ce mot : voire. Je me souvenais que je n'étais pas encore entré au collège, qu'il s'agissait du premier mot de la préface d'un roman se déroulant durant la Guerre de Cent Ans puisque cette préface traitait du rapport de rois d'Angleterre et de France, et du Prince Noir. Un vieux livre, au format de la Bibliothèque Verte de Hachette, avec un dessin en couverture comme cette collection savait en produire… Cette préface en particulier, je l'avais lue sur les marches de l'escalier du domicile de mes grands-parents. J'ai d'abord cru à La Flèche noire de Stevenson, mais ça se passe durant la Guerre des Deux Roses, et cette préface n'y est pas.

Et je ne sais pourquoi, aujourd'hui, l'idée de « fronde », l'arme, est revenue. À partir de là, il ne fut pas difficile de retrouver :

« VOIRE ! »

Un mot, un mot seul, fut peut-être à l’origine de cette guerre dite de Cent Ans ; guerre qui, en réalité, dura près de cent quinze ans… Une guerre qui opposa aux XIVe et XVe siècles deux des plus grandes nations du monde chrétien : la France et l’Angleterre ; une guerre où s’illustrèrent tant de vaillants capitaines dont Bertrand du Guesclin, connétable de France, et Jean Chandos, connétable de Gascogne ; une guerre enfin où dominant la violence et la mort brille l’auréole de Jeanne d’Arc…

« Voire ! »

Ce mot signifie en vérité ou vraiment… C’est par lui que les vassaux acceptaient de se soumettre à leur suzerain, que les ducs et les princes reconnaissaient l’autorité du roi. C’est ce mot qu’on réclama au roi d’Angleterre Édouard III pour que soit bien établie la suprématie du roi de France, Philippe VI de Valois…

Comment cela était-il possible ? Pourquoi un roi devait-il rendre hommage à un autre roi ? Simplement parce que Édouard d’Angleterre possédait des terres en France. Il était duc de Guyenne. Le roi Philippe menaça de saisir les possessions anglaises si Édouard refusait de s’humilier devant lui.

« Voire ! dit Édouard, cédant enfin.

— Voire… », répondit Philippe.

Mais l’Anglais quitta la cathédrale d’Amiens la rage au cœur, blessé dans son orgueil, résolu à se venger. La mère du roi Édouard se nommait Isabelle. Elle était fille du roi Philippe IV le Bel. Et Édouard prétendit à la couronne de France quand le dernier fils de Philippe IV s’éteignit sans héritier mâle. Évincé par Philippe de Valois, obligé de s’abaisser devant son rival, Édouard jura de s’emparer du royaume de France, les armes à la main… […]

C'est la préface de Thierry la fronde: Les Chevaliers de Sologne, de Jean-Claude Deret, paru en 1966 chez Hachette. J'avais tout, en réalité : sans doute un bouquin trouvé chez mes grands-parents de Sologne, faisant suite à la série télévisée des années 1960 qui avait dû leur faire grande impression puisque tournée près de chez eux.

Voilà. Chaque fois que je vous lis écrire « voir », sans le e, je repense à cette préface qui m'avait marqué, gamin de dix-onze ans que j'étais.

Le Figaro (@Le_Figaro): "Épreuve du bac de philo: Raphaël Enthoven affrontera ChatGPTCe «match des intelligences»… / Twitter

Je. « Match des intelligences » ? Le type prend l'épreuve la plus simple (désolé les lycéens mais dites-vous que vous avez un à deux ans de pratique là où il a eu toute votre vie) contre « l'intelligence artificielle » la plus simple… Perso, j'utiliserais PrivateGPT éduquée à l'ensemble des textes et tweets d'Enthoven (et tiens, pour corser le tout, l'ensemble de sa bibliothèque). Les mêmes références, le même style, quel auteur s'en sortirait le mieux ?

Affaire du 8 décembre : le chiffrement des communications assimilé à un comportement terroriste – La Quadrature du Net

Même avis que Seb sur le sujet : on va vers une criminalisation d'outils technophiles, ou du moins, vers une accusation de groupement terroriste lorsque ces outils sont utilisés à des fins de protection de la vie privée. Parmi ceux cités, j'utilise Linux, Tor, µBlock, F-Droid, Silence, et d'autres encore… C'est que derrière cette affaire se dessine un subtil mélange d'incompétence crasse de la DGSI (mais ça, n'importe quel syndicaliste peut vous le dire avec moult anecdotes) et une volonté politique d'assimilation de la gauche (même pas extrême, ne tombez pas dans ce travers) à des terroristes se battant contre la démocratie.

AI-Controlled Drone Goes Rogue, 'Kills' Human Operator in USAF Simulated Test

Alors le titre est un peu putaclic, vu qu'il s'agissait d'une simulation et non d'un test IRL, aucun humain n'est mort, d'autant que le porte-parole de l'USAF nie qu'il y ait eu un tel test.

Au-delà de ça, ce qui m'amuse le plus c'est que c'est très exactement comme cela qu'on prévoit depuis des décennies qu'une IA agirait dans ces conditions. Il est donc étonnant que la nouvelle étonne, mais il est encore plus étonnant que l'ensemble de l'équipe technique n'ait pas pris des mesures pour éviter cette éventualité. Si, par exemple, le tir du drone se trouvait sur un circuit séparé exigeant l'input à la fois de l'IA et de l'opérateur, l'IA n'aurait aucune raison de s'en prendre à l'opérateur, et ne pourrait de toute façon que constater l'impossibilité de faire feu.

Donc ce qui est le plus drôle, si cette histoire est vraie, c'est qu'il n'y ait eu personne pour réfléchir dix minutes.

Edit : on sait à présent que l'histoire est fausse, le colonel rapportant cette anecdote s'est mal exprimé et il ne s'agissait que d'une expérience de pensée…