Tiens, je vous ai pas raconté le lien entre Bilbo le Hobbit, l'Odyssée et Pirates des Caraïbes 3. En fait les trois sont une incarnation culturelle du même concept lié à la sujétion (mécanisme philosophique de devenir un sujet pensant) : l'expérience. L'expérience, quelle qu'en soit l'acception (y compris scientifique donc) vient d'une même étymologie.
ex (en dehors) + *periri (à travers, au bout). L'idée commune à toute forme d'expérience, c'est celle d'être allé à un endroit, et d'en être revenu. Sur la route, on surmonte des périls (même étymologie), et on devient un expert (même étymologie).
Il y a l'idée de l'aller-retour. C'est le mécanisme en jeu dans les romans de Rabelais à partir du moment où l'on passe le flambeau à Panurge.
L'aller-retour. L'Odyssée, base des romans dans leur forme moderne, joue bien là-dessus. Ulysse, parti en guerre, doit revenir. Ce n'est donc pas un hasard de voir le sous-titre de Bilbo le Hobbit : Histoire d’un aller et retour. Venant d'un Tolkien fin philologue, ce n'est pas étonnant. Bilbo y gagne une expérience que n'ont pas les autres hobbits, ce qui fait de lui un véritable sujet (et qui fait donc de Bilbo le Hobbit un très bon conte à lire et faire lire aux gosses, du coup).
Et Pirate des Caraïbes 3 ? Déjà le sous-titre : Jusqu'au bout du monde (At world's end). On retrouve l'idée d'aller jusqu'au bout. Mais il contient bien le moment le plus WTF de la saga : le monde des morts, auquel on accède… en retournant le bateau. On franchit la limite, pour ensuite en revenir. Ce passage montre l'expérience des protagonistes. Ils ont gagné en expérience, suffisamment pour la grande bataille finale.
C'est sans doute un schéma narratif somme toute assez classique (après tout, l'inspiration d'Homère est omniprésente au vu de son importance dans la culture grecque puis dans une moindre mesure latine). Vous trouverez d'autres exemples assez facilement. L'idée commune est la même : l'expérience, c'est-à-dire ce qu'on acquiert d'avoir traversé et d'être revenu d'une limite.
Le lien avec Kaamelott ? C'est avec Rabelais. « Astier est un savant » nous disait ce prof. La structure de Kaamelott est la même que celle utilisée par Rabelais : nous accrocher avec des trucs amusants, pour ensuite commencer à nous faire réfléchir dessus. Rabelais dit s'en garder, mais d'une façon qui est peu claire. Lorsqu'on voit les aventures de Panurge, moins « amusantes » que les deux premiers livres (Gargantua et Pantagruel), on ne peut que se demander si Rabelais n'essaie pas de nous dire quelque chose sur la sujétion. La sujétion est affaire d'expérience, entre autres. On ne nait pas sujet, on le devient. Par la culture, par l'éducation, par l'expérience, mais également par le politique.