Démocrite joyeux, par Charles-Antoine Coypel.

Le complexe de la solitude

Comment les théories de Masachi Ohsawa, de Fredric Jameson et de Jean Baudrillard permettent de souligner les dilemmes d’une société dont les individus sont trop lourdement insérés dans la nouvelle infrastructure d’information et de communication

Texte d’une présentation au master Humanités et Politique de l’université de Tours le 19 décembre 2019 sur le thème du transhumanisme.

Dans l’ensemble, le transhumanisme a peu réfléchi aux effets sociaux de ses applications. La Transhumanist FAQ de 2003 qui dessina les contours de son concept est particulièrement frappante. À la question « Dans quel genre de société les posthumains vivraient-ils1 ? », la réponse est des plus évasives :

On ne dispose pas actuellement de suffisamment d’informations pour fournir une réponse complète à cette question. Mais en partie, la réponse est : « C’est vous qui décidez2. »

Ce n’est guère étonnant si l’on se souvient des racines individualistes du transhumanisme, qui en font un groupe résolument postmoderne3.

Le complexe de la solitude

L’un des effets sociaux que peut avoir l’augmentation de l’être humain par sa mise en réseau permanente est étudié dans l’œuvre d’inspiration transhumaniste Ghost in the Shell: Stand Alone Complex. Comme nous le définissions en 2017 :

Le complexe de la solitude4 représente un phénomène où des actions individuelles sans liens mais similaires créent un effort qui a l’air concerté. On peut le comparer au phénomène d’imitation (copycat) qui se produit lors d’un cirque médiatique, que ce soit pour des crimes en série, des suicides (effet Werther) ou même des cas d’ovnis5.

Dans son fonctionnement même, le complexe de la solitude agit par reproduction ou mimétisme dont on peine à établir l’origine6. Ce n’est pas sans rappeler le concept de simulacre de Jean Baudrillard. Initialement introduit dans Le Sophiste de Platon7, c’est en effet avec Simulacres et simulation que ce concept sera le plus exploré. Chez Baudrillard comme chez Platon, l’image entretient d’abord une relation au réel, en tant qu’elle en est le reflet ou la copie. À mesure que l’image est simulée, répétée, « elle est sans rapport à quelque réalité que ce soit8 » et sombre dans le simulacre.

Or, la mise en réseau permanente décrite par Ghost in the Shell n’est plus si lointaine, comme en témoigne l’omniprésence de nos smartphones connectés et toujours à portée. La connexion sans-fil des cerveaux informatisés n’est qu’une amplification de l’expansion du réseau Internet dans la forme que nous lui connaissons. De même, les effets sociaux d’une telle mise en réseau se retrouvent, sous une forme moindre, dans la société actuelle. En d’autres termes, l’avènement de l’humain augmenté par le réseau ne fera qu’accentuer des effets sociaux déjà en place, dans une différence de degré et non de nature.

Nous étudierons ainsi en dernière partie un cas actuel de complexe de la solitude. Il apparaît d’abord crucial d’exposer dans un premier temps les mécanismes à l’œuvre dans ce phénomène, avant d’en tracer les conditions de possibilité.

Théories du social chez Fredric Jameson et Masachi Ohsawa

Deux auteurs sont cités comme sources de l’élaboration théorique du complexe de la solitude de Ghost in the Shell9 : le critique culturel Fredric Jameson et le sociologue Masachi Ohsawa10. Si Jameson est un penseur marxiste de tendance « hégélienne » dans sa totalisation du réel11, Ohsawa procède d’un constructivisme social qui fera école au Japon.

Pour Ohsawa, ce qui distingue les actions valides socialement des actions invalides est une norme définissant le sens de l’objet de l’action. Dans cette théorie sociale, le social (collective stream) est composé de corps (body), c’est-à-dire « [d’] être[s] à qui l’intentionnalité dans un sens large peut être attribuée12 ». Un corps peut entrer en relation avec un autre dans un état d’échange où le premier corps échange sa place avec le second. Il y fait l’expérience du corps de l’autre : en voyant la petite fille pleurer, je « deviens » la petite fille et ressent la tristesse comme si j’étais la petite fille. De même, « lorsqu’une personne échange avec un objet, les deux constituent les parties d’un flux collectif (collective stream)13 ». Les « corps échangeurs » (interchanging bodies) ne sont donc pas limités aux corps biologiques14. Lorsque plusieurs corps échangent de manière répétée, il se forme une expérience commune nommée « chaîne inter-corporelle » (inter-bodily chain) par Ohsawa, où les différences entre les corps est effacée. La norme émerge comme la voix d’un corps, appelé « corps tiers » (third body), qui apparaît comme projeté à la source de la chaîne inter-corporelle alors même qu’il en est le produit, légitimant a posteriori les actions de la chaîne comme valides15.

Un groupe social définit donc une norme par l’entremise d’un corps tiers qu’il construit de manière fictive. La transmission d’une norme d’un collectif à un autre produit ainsi une expansion de la sphère d’influence du corps tiers par l’intégration de la sphère d’influence du corps tiers recevant la norme. Deux choses apparaissent de cet emboîtement des sphères d’influence :

  1. La sphère transmettant la norme tend à l’universalité par la transcendance, son corps tiers devenant de moins en moins visible et le contenu de la norme de plus en plus général.
  2. Un corps spécifique « entend » la voix du corps tiers partout et tout le temps, quel que soit le flux collectif auquel il se rattache.

[…] l’élargissement de la sphère d’influence entraîne une situation dans laquelle un corps spécifique suit la voix de la norme qui est produite par un corps tiers invisible qui l’observe partout et à tout moment16.

De ces deux conséquences émergent la subjectivité intérieure, en tant que corps-esprit : le corps individuel se référant à un corps tiers de plus en plus invisible l’observant en tout lieu et par tout temps a l’impression que ce corps tiers, c’est lui, son esprit, son intériorité, dans un phénomène de décentrement de la perspective17.

Or, la multiplication des identités et le fractionnement de soi permis par Internet18 révèle en réalité une adhésion à de multiples flux collectifs, autrefois cantonnés au local du village ou de la famille. Dans le même temps, le caractère global d’Internet tend à transcender le corps tiers régissant ces flux collectifs, ce qui a pour effet de normaliser les actions possibles et leur sens. Sous couvert d’une explosion d’identités, on assiste donc à une hégémonie d’un corps tiers de plus en plus invisible.

D’une façon quelque peu différente, Jameson va partir d’un social atomisé en individus qui ne peuvent accéder à la totalité du social qu’à travers la médiation de récits (narratives)19. Le récit qui sert de médiateur agit symboliquement comme lien unifiant « des phénomènes apparemment disparates de la vie sociale20 ». Or, dans la dialectique hégélienne, lorsque le conflit entre l’abstraction et l’empirique est dépassé, le médiateur disparaît. Les collectifs semblent ainsi poussés par une absence, un « terme évanouissant21 » ou « médiateur disparaissant22 » (vanishing mediator) a posteriori. Dans son article « The Vanishing Mediator » de 1973, Jameson fait ainsi le lien entre la posture romantique et la mélancolie freudienne qui provient de la perte d’un objet sur lequel la libido s’était fixée23.

Ces récits possèdent de nos jours, grâce aux réseaux de communication, une étendue de plus en plus globale. Les actes qui en résultent sont alors similaires et apparaissent concertés, alors que leur source semble avoir disparue.

Conditions d’une société du complexe de la solitude

Les comportements similaires sont ainsi des reproductions d’un original maintenant absent de la réalité empirique. Quelle architecture sous-tend un tel phénomène social ?

La condition postmoderne…

Ohsawa comme Jameson prennent pour point de départ le constat de Jean-François Lyotard du déclin des grands récits. Ainsi, dans Kyoko no jidai no hate (La fin de l’âge de fiction), Ohsawa distingue trois périodes traversées par la société japonaise après la Seconde Guerre mondiale : l’âge de l’idéologie, l’âge de la fiction, et l’âge post-fiction (ou âge de l’impossible)24. Cette distinction s’effectue sur cette définition :

L’idéologie est un monde potentiel dans l’avenir dont l’arrivée peut être attendue, ou espérée, dans le présent. Pour cette raison, l’idéologie doit exister comme une extension causale de la réalité. Par cette définition, l’idéologie n’est pas un pure monde potentiel, mais plutôt une partie du monde réel au sens large. Par contraste, la fiction est un monde potentiel qui peut exister sans aucune relation avec sa manifestation dans le monde réel, et c’est donc une pure anti-réalité25.

L’effondrement des grands récits (« idéologie ») entraîne ainsi un repli sur la fiction qui ne partage plus de lien avec la réalité. Il s’agit là d’un monde de simulacres, aux racines profondément ancrées dans le consumérisme d’un capitalisme devenu hégémonique. Tous ces simulacres agissent comme des corps tiers intermédiaires dont les sphères d’influence sont comprises dans le corps tiers transcendé du capitalisme26.

Ce diagnostic de la victoire du simulacre est partagé par Jameson, qui en fait dans Le postmodernisme ou La logique culturelle du capitalisme tardif l’un des éléments constitutifs du postmodernisme. Ce dernier se déploie notamment selon la logique du pastiche : « l’imitation de styles morts », « la cannibalisation aveugle de tous les styles du passé » ont pour effet un passé « progressivement mis entre parenthèses, puis totalement effacé, ne nous laissant que des textes »27. S’ensuit logiquement « une nouvelle superficialité qui trouve ses prolongements […] dans une toute nouvelle culture de l’image, du simulacre28 », défini ainsi : « C’est à ces objets que nous pouvons réserver la conception platonicienne du “simulacre”, la copie à l’identique d’un original qui n’a jamais existé29. »

Pour Jameson aussi cette culture du simulacre est la conséquence d’un capitalisme devenu multinational et hégémonique. Le postmodernisme n’est ainsi que la logique du « capitalisme tardif » (late capitalism, nom qu’il emprunte à l’économiste Ernest Mandel)30 dans sa négation de « penser la totalité impossible du système-monde contemporain31 ».

… sise sur une infrastructure de l’information globale

Comme le note Jameson, ce capitalisme tardif correspond à « l’essor de l’industrie des médias et de la publicité » dans un « Troisième âge de la Machine »32 autour de l’ordinateur et de la télévision : « Ces machines sont en effet des machines de reproduction plus que de production […]33. » C’est par ce nouveau réseau communicationnel que se déploie la reproduction des simulacres dans un temps qui n’est plus culturel mais informationnel. C’est l’actualité qui prime, dans un état d’exception permanent : « […] la logique du simulacre qui transforme les anciennes réalités en images de télévision ne se contente pas de reproduire la logique du capitalisme tardif; elle la renforce et l’intensifie34. »

Cette ère de la superficialité n’est possible qu’à condition d’un capitalisme vainqueur et global, ce qui en retour ne peut se réaliser qu’à partir de transmissions de normes suffisantes pour étendre la sphère d’influence de son corps tiers. Une infrastructure de l’information comme médium de transmission est ainsi nécessaire.

Dépasser le complexe de la solitude

Partis de deux méthodes différentes, Fredric Jameson et Masachi Ohsawa offrent un double éclairage sur le complexe de la solitude. Ce phénomène de reproduction par divers individus d’un comportement disparu procède d’une culture du simulacre caractéristique d’une société postmoderne au réseau informatique étendu. En d’autres termes : un capitalisme vainqueur des idéologies, globalisé et hégémonique. Voilà expliquée l’impression d’organisation d’un terrorisme islamique par nature composé d’actes isolés35 comme cette sensation de déjà-vu des commentaires de réseaux sociaux et des photos de sites de rencontre…

Il apparaît alors que si le transhumanisme se donne pour projet la mise en réseau permanente des êtres humains, il ne pourrait qu’accentuer la formation de ces complexes entraînant un retrait du monde dans une spirale nihiliste désespérante. La mobilisation d’un idéal capable de surplomber la totalité du monde en alternative à l’hégémonie du capitalisme semble être l’option à privilégier, mais il n’est pas dit que les transhumanistes aient l’intention de s’en donner les moyens.

Références

Annexe : étude de cas

En octobre 2019, à Beyrouth, à Hong Kong, à Londres ou même à Santiago du Chili, plusieurs manifestants sont descendus dans les rues le visage couvert du maquillage de clown du film récemment sorti en salles Joker (figure 1).

Figure 1 – Maquillage de Joker porté par une manifestante à Beyrouth.

Si ces maquillages répondaient parfois à des besoins militants immédiats36, nul doute que la forme prise par cette réponse trouvait sa source dans une identification à la réalité sociale dépeinte par Joker. Il s’agit d’une reproduction d’un original, les protestations populaires étant un élément important du film.

Pourtant, il est possible de repérer dans cet usage un complexe de la solitude. Au-delà d’une simple répétition d’un même symbole politique de manière mémétique pour construire une identité collective37, la reproduction de ces avatars de contestation (protest avatars) pose question.

En effet, quelques années plus tôt, en 2011, cet avatar avait pris la forme du masque de Guy Fawkes (figure 2) dans des mouvements aussi divers qu’un révolution en Égypte, le mouvement des indignés en Espagne ou Occupy Wall Street aux États-Unis. Popularisé par le film V pour Vendetta de 2006, adapté du roman graphique d’Alan Moore et de David Lloyd des années 1980, ce masque trouve sa source à la fin du xviiie siècle lorsque les enfants parés d’un masque grotesque à l’effigie de Guy Fawkes mendiaient durant la Guy Fawkes Night en Angleterre. De sorte que si l’on peut considérer le masque de David Lloyd comme une imitation d’une réalité sociale, lorsque le groupe de hacktivistes Anonymous s’empare du masque en 2008, il n’est plus que simulacre. Le sens même du masque ne renvoie plus aux enfants mendiants, mais à l’œuvre cinématographique. L’ironie consumériste de notre culture du simulacre se trouve dans le fait qu’en 2011 le masque de Guy Fawkes fut le masque le plus vendu sur Amazon, ce qui participait à l’enrichissement de la compagnie détentrice des droits, Time Warner.

Figure 2 – Masque de Guy Fawkes porté à Hong Kong.

Approprié depuis par la culture populaire, reproduit, réadapté, inspirant des séries télévisuelles comme Mr Robot (masque de fsociety, figure 3), il serait étonnant de ne pas voir dans l’usage des masques du film Joker une répétition de l’usage réel des masques de Guy Fawkes. Le maquillage du manifestant de Beyrouth ne serait alors qu’une reproduction d’une série de copies ayant perdu leur original.

Figure 3 – Masque de fsociety représenté dans Mr Robot.

Mais il y a plus. Lorsqu’elle montre le déploiement du complexe de solitude, la série animée Ghost in the Shell: Stand Alone Complex de 2002 est presque prophétique. L’intrigue suit le personnage du Rieur (the Laughing Man), pirate informatique qui dissimulera son identité sous un logo (figure 4) influencé de celui d’une entreprise (figure 5). Suite à un événement médiatique, le logo du Rieur sera repris dans une série de chantages informatiques orchestrés par un personnage sans lien, avant d’être approprié par la culture populaire, réadapté, etc. (Figure 6.) Une nouvelle apparition du Rieur original quelques années plus tard entraînera alors une série d’événements impliquant de nouveau le logo.

Figure 4 – Logo du Rieur.
Figure 5 – Logo d’une entreprise fictive de café.
Figure 6 – Réappropriation populaire du logo du Rieur.

Sans aller jusqu’à chercher un lien avec les hacktivistes Anonymous fortement influencés par Ghost in the Shell, il est intéressant de noter que la série animée met un point d’honneur à multiplier les occurrences de séries de copies. Le nom du Rieur, la phrase de son logo et même une partie des personnages et de l’intrigue sont une référence assumée à la nouvelle de J. D. Salinger L’Homme hilare (en anglais : The Laughing Man). Cette nouvelle est, à son tour, inspirée de celle de Victor Hugo L’Homme qui rit (The Man Who Laughs). Si la portée politique de cette dernière n’échappera pas aux fins lecteurs, nous pouvons attirer l’attention sur la présence centrale du théâtre. Encore une fois, l’ironie voudra que Bob Kane et Bill Finger trouveront dans l’adaptation cinématographique de 1928 de L’Homme qui rit l’inspiration du personnage du Joker38 en 1940. La boucle est en quelque sorte bouclée.

Pourtant, le lien entre tous ces masques ne se fait pas par causalité. On ne peut démontrer que l’usage du masque du Rieur a engendré celui du masque de Guy Fawkes, qui aurait engendré celui du maquillage de Joker. La reproduction prend néanmoins l’apparence de la concertation. Si le médiateur social était l’une de ses œuvres de fiction en particulier, il n’expliquerait pas la répétition du même motif. Or, on ne trouve aucune trace d’un médiateur commun à ces différentes occurrences de la série. L’explication la plus probable est que le médiateur a fini par disparaître, le corps tiers par perdre son contenu, pour ne laisser que la forme. Il s’agit à chaque fois d’un homme qui rit comme personne politique39.

Nous pourrions remonter jusqu’aux mascarades de la Grèce ancienne qui, construites sur l’exagération, « contribue[nt] à mieux démasquer la réalité sociale et politique que l’on entend critiquer40 » selon l’helléniste Claude Calame. Cela inscrirait notre Joker dans une tradition. Ce serait manquer le point essentiel du complexe de la solitude. Le fait que des récits fictionnels sont « à l’origine » de l’usage de ces masques en particulier est révélateur de la médiation par le récit théorisée par Jameson. Si notre boucle a été bouclée, c’est précisément à cause du caractère autoréférant du simulacre appliqué au social qu’est le complexe de la solitude qui, de fait, a reproduit les formes sans les historiciser.


  1. « What kind of society would posthumans live in? » (Bostrom, Nick, The Transhumanist FAQ: A General Introduction, version 2.1, Oxford, World Transhumanist Association, 2003, question 3.8, p. 32.) ↩︎

  2. « Not enough information is available at the current time to provide a full answer to this question. In part, though, the answer is, “You decide.” » (Ibid.↩︎

  3. « Le transhumanisme est arrivé pendant ce que l’on appelle souvent l’ère postmoderniste, bien qu’il n’ait qu’un chevauchement modeste avec le postmodernisme. Ironiquement, le transhumanisme partage certaines valeurs postmodernistes, telles que le besoin de changement, la réévaluation des connaissances, la reconnaissance d’identités multiples et l’opposition aux classifications pointues de ce que les humains et l’humanité devraient être. » (« Transhumanism arrived during what is often referred to as the postmodernist era, although it has only a modest overlap with postmodernism. Ironically, transhumanism shares some postmodernist values, such as a need for change, reevaluating knowledge, recognition of multiple identities, and opposition to sharp classifications of what humans and humanity ought to be. ») (More, Max et Vita-More, Natasha (éd.), The Transhumanist Reader, Chichester, John Wiley & Sons, 2013, Part I, p. 1.) ↩︎

  4. « Complexe de la solitude » est la traduction française quelque peu officielle de « stand alone complex ». Cette traduction peine à retranscrire pleinement le sens de stand alone, littéralement : « qui se tient seul. » ↩︎

  5. Litaudon, Guillaume, Triste monde tragique, Ouchamps, Yomli, 2017, § 83, p. 188. ↩︎

  6. « Le Rieur : Dans la théorie sociologique, le régulateur finit par disparaître en ne laissant aucune trace de sa présence, ni à l’intérieur ni en dehors de la société.
    Le Major : C’est de Fredric Jameson, je crois.
    Le Rieur : Yes. Mais pas seulement. Masachi Ohsawa aussi. J’avais beau en avoir entendu parler dans mes lectures, je ne pensais pas que ce soit possible. Jusqu’à ce que je le vois de mes propres yeux : qui aurait cru que l’on puisse continuer à développer des copies en l’absence d’un original ? Si on devait mettre un nom sur ce phénomène, comment l’appellerait-on ?
    Le Major : Eh bien ce serait le stand alone complex.
    Le Rieur : Yes. Le complexe de la solitude. Depuis le début la nature profonde de la société dans laquelle nous vivons porte en elle les germes de cet incroyable phénomène. Pour ma part, j’ai bien peur que nous entrions dans une ère marquée par le désespoir. » (Ghost in the Shell : Stand Alone Complex, saison 1, épisode 26 : Kōan Kyūka, Futatabi STAND ALONE COMPLEX (C : Stand Alone Complex), série d’animation japonaise de Kenji Kamiyama, diffusé sur Animax le 25 mars 2003.) ↩︎

  7. Voir le passage en 235e-236d où l’Étranger dit : « Mais quoi ! ce qui paraît, parce qu’on le voit d’une position défavorable, ressembler au beau, mais qui, si l’on est à même de voir exactement ces grandes figures, ne ressemble même pas à l’original auquel il prétend ressembler, de quel nom l’appellerons-nous ? Ne lui donnerons-nous pas, parce qu’il paraît ressembler, mais ne ressemble pas réellement, le nom de simulacre ? » (Platon, Le Sophiste, Paris, GF Flammarion, 1969, 235e-236d.) Platon oppose ainsi l’icône (εἰκών) à la fantasma (ϕάνταὓμα). ↩︎

  8. Baudrillard, Jean, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 17. ↩︎

  9. Voir supra, note 6. ↩︎

  10. La graphie occidentale est fluctuante. Si certains citent volontiers Osawa, les articles de ce sociologue japonais sont signés Ohsawa, et c’est pourquoi nous utiliserons cette graphie. ↩︎

  11. À l’opposé d’un althusserianisme, qu’il emprunte pourtant pour le dépasser dialectiquement. ↩︎

  12. « A body is defined as a being to which intentionality in its broadest sense can be attributed. » (Sugiman, Toshio, « A Theory of Construction of Norm and Meaning: Osawa’s Theory of Body », chap. 7 In Sugiman, Toshio, Gergen, Kenneth J., Wagner, Wolfgang et Yamada, Yoko (éd.), Meaning in Action. Constructions, Narratives, and Representations, Springer, 2008, p. 138.) ↩︎

  13. « When a person interchanges with an object, both constitute part of a collective stream. » (Ibid., p. 139.) ↩︎

  14. Ce qui explique ce que nous avions observé dans Triste monde tragique : « Un exemple tout aussi frappant est celui donné dans un épisode de Community : présentez un stylo à votre entourage, donnez-lui un nom, patientez quelques secondes, et brisez-le d’un coup sec. L’identification à un personnage qui vient pourtant tout juste d’être présenté, et qui n’est en réalité qu’un bout de plastique, provoquera une gêne. » (Litaudon, op. cit., § 84, note 86, p. 190.) ↩︎

  15. « In other words, an inter-bodily chain constructs a third body backwardly on a temporal sequence, which is called backward projection of a third body. The backward projection secures a situation in which action by a specific body is regarded as a result of selection from an infinite set of valid actions that has already been designated by a third body. » (Ibid., p. 140.) ↩︎

  16. « […] enlargement of the sphere of influence brings about a situation in which a specific body follows the voice of norm that is made by an invisible third body that observes it anywhere and anytime. » (Ibid., p. 145.) ↩︎

  17. Voir à ce sujet Ohsawa, Masachi, « The Double Meaning of Nationalism », International Journal of Japanese Sociology, no 3, 1994, p. 59–79. ↩︎

  18. « La multiplicité des problèmes d’identité ou de soi est une question très populaire qui a fait l’objet de nombreuses discussions dans la littérature sur la CMC [Computer Mediated Communication]. (Barglow 1994; Turkle 1995; Osawa 1995; Cutler 1996; Bromberg 1996; Narita 1997; Endo 1998a.) […] Aujourd’hui, dans les temps postmodernes, les identités multiples ne sont plus tellement en marge des choses. Beaucoup plus de personnes expérimentent l’identité comme un ensemble de rôles qui peuvent être mélangés et assortis, dont les diverses exigences doivent être négociées. » (« Multiplicity of self or identity problem is a quite popular issue and has been discussed substantially in CMC [Computer Mediated Communication] literature. (Barglow 1994; Turkle 1995; Osawa 1995; Cutler 1996; Bromberg 1996; Narita 1997; Endo 1998a). […] Now, in postmodern times, multiple identities are no longer so much at the margins of things. Many more people experience identity as a set of roles that can be mixed and matched, whose diverse demands need to be negotiated. ») (Tamura, Takanori, « Spiritual Network in the Internet Embedded Society: FARION Forum as a Case », Religion & Society, vol. 5, 1999, p. 91.) ↩︎

  19. Voir à ce propos le premier chapitre de Jameson, Fredric, The Political Unconscious. Narrative as a socially symbolic act, New York, Cornell University Press, 1981. ↩︎

  20. « […] seemingly disparate phenomena of social life » (Jameson, op. cit., p. 40.) ↩︎

  21. Concept qu’Alain Badiou, dans La Théorie du sujet, aura emprunté à Fredric Jameson. ↩︎

  22. Titre de l’article de 1973, « The Vanishing Mediator: Narrative Structure in Max Weber ». ↩︎

  23. « […] nous pouvons (peut-être trop vite) suggérer que l’objet ainsi pleuré par les romantiques était le monde aristocratique lui-même, que même la Restauration n’a pas réussi à faire revivre. » (« […] we may perhaps over hastily suggest that the object thus mourned by the Romantics was the aristocratic world itself, which even the Restoration was unable to bring back to life. ») (Jameson, Fredric, « The Vanishing Mediator: Narrative Structure in Max Weber », New German Critique, no 1 (hiver 1973), p. 52‑89.) ↩︎

  24. « J’adopte la théorie du zeitgeist culturel d’Ohsawa qui divise l’après-guerre en trois phases : l’âge de l’idéologie (1945–1972), l’âge de la fiction (1972‑1995) et l’âge post-fiction (1995–présent). » (« I adopt Osawa’s cultural zeitgeist theory that breaks the postwar period into three phases: the age of ideology (1945 – 1972), the age of fiction (1972 – 1995) and the post-fictional age (1995 -present). ») (Menuez, Paolo Xavier Machado, « The Downward Spiral: Postmodern Consciousness as Buddhist Metaphysics in the Dark Souls Video Game Series », Dissertations and Theses, papier 4161, Portland State University, 2017, p. 4.) ↩︎

  25. « Ideology is a potential world within the future whose arrival can be expected, or hoped for, in the present. For this reason, ideology must exist as a causal extension of reality. By this definition, ideology is not a pure, potential world, rather it is one part of the real world in a broad sense. In contrast to this, fiction is a potential world that can exist without any relation to whether it will manifest within the real world, and so, is a pure anti-reality. » (Ohsawa, Masachi, Kyokou No Jidai No Hate, Tokyo, Chikuma Shobo, 2009, p. 41, cité par Menuez, op. cit., p. 17.) ↩︎

  26. C’est pourquoi Ohsawa fait du nationalisme européen une réaction au capitalisme : « L’explication ci-dessus nous permet de comprendre pourquoi le chauvinisme nationaliste réapparaît dans les sociétés d’Europe de l’Est d’aujourd’hui lorsqu’elles sont soudainement exposées au capitalisme : le nationalisme est pour elles une sorte de tampon contre le capitalisme, qui entraîne une universalisation excessive. Le nationalisme est indéniablement un mécanisme de défense contre le vide des normes auquel le capitalisme pur peut conduire. » (« The explanation stated above enables us to understand why nationalism chauvinism reemerges in today’s Eastern European societies when they are suddenly exposed to capitalism: nationalism is for them a kind of buffer against capitalism, which entails excessive universalization. Nationalism is undoutedly a defense mechanism against the emptiness of norms to which the pure capitalism may lead. ») (Ohsawa, op. cit., p. 76‑77.) ↩︎

  27. Jameson, Fredric, Le postmodernisme ou La logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, Beaux-Arts de Paris, 2012, p. 58–59. ↩︎

  28. Ibid., p. 39. ↩︎

  29. Ibid., p. 58. ↩︎

  30. Ibid., p. 79. Ce capitalisme tardif serait ainsi, selon Jameson, « la forme la plus pure de capital ayant jamais existé, une expansion prodigieuse du capital dans des domaines non marchandisés jusqu’alors […] [Ce capitalisme] élimine ainsi les enclaves d’organisation précapitaliste qu’il avait jusqu’à présent tolérées et exploitées de manière tributaire ». ↩︎

  31. Ibid., p. 80. ↩︎

  32. Ibid. ↩︎

  33. Ibid., p. 94. ↩︎

  34. Ibid., p. 94. ↩︎

  35. Voir à ce propos les pages 531 à 536 de Le postmodernisme ou La logique culturelle du capitalisme tardif sur les groupes fondamentalistes religieux, mais également Ohsawa, Masachi, « The Double Meaning of Nationalism », op. cit. sur le nationalisme qui procède du même mécanisme. ↩︎

  36. Déjouer l’identification faciale est un enjeu prégnant à Hong Kong. ↩︎

  37. Lire à ce propos Gerbaudo, Paolo, « Protest avatars as memetic signifiers: political profile pictures and the construction of collective identity on social media in the 2011 protest wave », Information, Communication & Society, 2015, vol. 18, no 8, p. 916–929, doi : http://dx.doi.org/10.1080/1369118X.2015.1043316. L’auteur y développe l’argument selon lequel c’est précisément à cause d’une individualisation due aux nouveaux réseaux de communication que ces avatars apparaissent comme l’un des moyens de recréer une identité collective nécessaire à l’action politique. ↩︎

  38. Ce qui sera d’ailleurs rappelé dans l’interprétation de Heath Ledger (The Dark Knight : Le Chevalier noir, 2008), les cicatrices du personnage inspirant celles portées par Marc-André Grondin dans l’adaptation de L’Homme qui rit de 2012. Les voies du simulacre sont impénétrables… ↩︎

  39. Nous pourrions nous étendre sur le lien entre le sujet politique, le sujet individuel et la personne tirée du persona, du masque, mais les longues pages requises épuiseraient la patience de notre lectorat. ↩︎

  40. Calame, Claude, « Démasquer par le masque. Effets énonciatifs dans la Comédie ancienne », Revue de l’histoire des religions, vol. 206, no 4, octobre-décembre 1989, p. 357. ↩︎


Citer cet article : Guillaume Litaudon, « Le complexe de la solitude », Yomli (ISSN : 2592-6683), 29 mars 2020.