Note: Voire!

Pendant des années, j'ai cherché dans quel livre j'avais appris l'orthographe et la signification de ce mot : voire. Je me souvenais que je n'étais pas encore entré au collège, qu'il s'agissait du premier mot de la préface d'un roman se déroulant durant la Guerre de Cent Ans puisque cette préface traitait du rapport de rois d'Angleterre et de France, et du Prince Noir. Un vieux livre, au format de la Bibliothèque Verte de Hachette, avec un dessin en couverture comme cette collection savait en produire… Cette préface en particulier, je l'avais lue sur les marches de l'escalier du domicile de mes grands-parents. J'ai d'abord cru à La Flèche noire de Stevenson, mais ça se passe durant la Guerre des Deux Roses, et cette préface n'y est pas.

Et je ne sais pourquoi, aujourd'hui, l'idée de « fronde », l'arme, est revenue. À partir de là, il ne fut pas difficile de retrouver :

« VOIRE ! »

Un mot, un mot seul, fut peut-être à l’origine de cette guerre dite de Cent Ans ; guerre qui, en réalité, dura près de cent quinze ans… Une guerre qui opposa aux XIVe et XVe siècles deux des plus grandes nations du monde chrétien : la France et l’Angleterre ; une guerre où s’illustrèrent tant de vaillants capitaines dont Bertrand du Guesclin, connétable de France, et Jean Chandos, connétable de Gascogne ; une guerre enfin où dominant la violence et la mort brille l’auréole de Jeanne d’Arc…

« Voire ! »

Ce mot signifie en vérité ou vraiment… C’est par lui que les vassaux acceptaient de se soumettre à leur suzerain, que les ducs et les princes reconnaissaient l’autorité du roi. C’est ce mot qu’on réclama au roi d’Angleterre Édouard III pour que soit bien établie la suprématie du roi de France, Philippe VI de Valois…

Comment cela était-il possible ? Pourquoi un roi devait-il rendre hommage à un autre roi ? Simplement parce que Édouard d’Angleterre possédait des terres en France. Il était duc de Guyenne. Le roi Philippe menaça de saisir les possessions anglaises si Édouard refusait de s’humilier devant lui.

« Voire ! dit Édouard, cédant enfin.

— Voire… », répondit Philippe.

Mais l’Anglais quitta la cathédrale d’Amiens la rage au cœur, blessé dans son orgueil, résolu à se venger. La mère du roi Édouard se nommait Isabelle. Elle était fille du roi Philippe IV le Bel. Et Édouard prétendit à la couronne de France quand le dernier fils de Philippe IV s’éteignit sans héritier mâle. Évincé par Philippe de Valois, obligé de s’abaisser devant son rival, Édouard jura de s’emparer du royaume de France, les armes à la main… […]

C'est la préface de Thierry la fronde: Les Chevaliers de Sologne, de Jean-Claude Deret, paru en 1966 chez Hachette. J'avais tout, en réalité : sans doute un bouquin trouvé chez mes grands-parents de Sologne, faisant suite à la série télévisée des années 1960 qui avait dû leur faire grande impression puisque tournée près de chez eux.

Voilà. Chaque fois que je vous lis écrire « voir », sans le e, je repense à cette préface qui m'avait marqué, gamin de dix-onze ans que j'étais.

Le Figaro (@Le_Figaro): "Épreuve du bac de philo: Raphaël Enthoven affrontera ChatGPTCe «match des intelligences»… / Twitter

Je. « Match des intelligences » ? Le type prend l'épreuve la plus simple (désolé les lycéens mais dites-vous que vous avez un à deux ans de pratique là où il a eu toute votre vie) contre « l'intelligence artificielle » la plus simple… Perso, j'utiliserais PrivateGPT éduquée à l'ensemble des textes et tweets d'Enthoven (et tiens, pour corser le tout, l'ensemble de sa bibliothèque). Les mêmes références, le même style, quel auteur s'en sortirait le mieux ?

Affaire du 8 décembre : le chiffrement des communications assimilé à un comportement terroriste – La Quadrature du Net

Même avis que Seb sur le sujet : on va vers une criminalisation d'outils technophiles, ou du moins, vers une accusation de groupement terroriste lorsque ces outils sont utilisés à des fins de protection de la vie privée. Parmi ceux cités, j'utilise Linux, Tor, µBlock, F-Droid, Silence, et d'autres encore… C'est que derrière cette affaire se dessine un subtil mélange d'incompétence crasse de la DGSI (mais ça, n'importe quel syndicaliste peut vous le dire avec moult anecdotes) et une volonté politique d'assimilation de la gauche (même pas extrême, ne tombez pas dans ce travers) à des terroristes se battant contre la démocratie.

AI-Controlled Drone Goes Rogue, 'Kills' Human Operator in USAF Simulated Test

Alors le titre est un peu putaclic, vu qu'il s'agissait d'une simulation et non d'un test IRL, aucun humain n'est mort, d'autant que le porte-parole de l'USAF nie qu'il y ait eu un tel test.

Au-delà de ça, ce qui m'amuse le plus c'est que c'est très exactement comme cela qu'on prévoit depuis des décennies qu'une IA agirait dans ces conditions. Il est donc étonnant que la nouvelle étonne, mais il est encore plus étonnant que l'ensemble de l'équipe technique n'ait pas pris des mesures pour éviter cette éventualité. Si, par exemple, le tir du drone se trouvait sur un circuit séparé exigeant l'input à la fois de l'IA et de l'opérateur, l'IA n'aurait aucune raison de s'en prendre à l'opérateur, et ne pourrait de toute façon que constater l'impossibilité de faire feu.

Donc ce qui est le plus drôle, si cette histoire est vraie, c'est qu'il n'y ait eu personne pour réfléchir dix minutes.

Edit : on sait à présent que l'histoire est fausse, le colonel rapportant cette anecdote s'est mal exprimé et il ne s'agissait que d'une expérience de pensée…

J'ai infiltré un réseau d'arnaqueurs au SMS - YouTube

Autant l'enquête est intéressante, autant le fait qu'un partenariat avec Bouygues empêche toute mention de la plateforme 33700 (https://www.arcep.fr/demarches-et-services/sms-appels-et-courriers-electroniques-indesirables-et-ou-frauduleux.html), autrement plus officielle et dont c'est la raison d'être, interroge un peu.

Vouloir perdre, vouloir gagner, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 24 mai 2023)

Tout cela me rappelle Capitalisme, socialisme,écologie. André Gorz, il y a plus de trente ans déjà, démontrait admirablement qu'avec l'évolution du travail, les syndicats devraient s'ouvrir à d'autres catégories que les seuls salariés pérennes, sous peine de devenir obsolètes en tant que contre-pouvoirs. Devenir des associations ouvertes à d'autres pans de la société, des chômeurs aux retraités en passant par les précaires intérimaires. Aujourd'hui, le seul syndicat s'occupant de chômeurs et personnes au RSA est la CGT, et cela reste anecdotique. Nous voilà avec des syndicats qui, enchaînant les défaites, ne parviennent plus à saisir l'opportunité d'user de leur seule arme qui a prouvé son efficacité : la grève générale…

Le Figaro (@Le_Figaro): "Début mai, le «Larousse» et le «Robert» ont fait polémique après avoir… / Twitter

Avec cette vidéo, je découvre qu'après iel et féminicide, la peur de la droite est crush… Est-ce parce que c'est un anglicisme ? De fait, l'Académie française écrit (https://www.academie-francaise.fr/crush-pour-beguin) :

Le verbe anglais to crush, « écraser, broyer », est emprunté de l’ancien français cruisir, une des nombreuses variantes de croissir, « rompre, casser, briser, détruire ». […] Dans la mesure où le français a à sa disposition de nombreux termes pour désigner ces attractions, le plus souvent passagères, on réservera crush à l’anglais.

Certes, c'est un anglicisme, mais qui rentre au pays pourrait-on dire. Et l'Académie de préconiser béguin à la place.

Alors moi, vous me connaissez, je ne suis ni linguiste ni de droite, mais je suis philosophe. L'un de mes boulots est de créer et d'étudier des concepts. À ce titre, et croyez bien que j'en suis navré, mais le concept de béguin est par trop étendu pour que la langue le préfère à crush. Constatez plutôt :

  • Robert : « 1. Amour vif et passager. 2. Personne qui en est l'objet. »
  • Larousse : « Personne pour qui on éprouve de l'amour. » (Aucune mention d'intensité ou de temporalité, autrement dit vous pouvez appeler votre moitié « mon béguin » après 60 ans de mariage, cela ne choque pas ce dictionnaire.)
  • Trésor de la Langue Française : « A. Éprouver une toquade, un caprice amoureux, vif quoique passager. B. La personne qui est l'objet de ce sentiment amoureux. »
  • Dictionnaire de l'Académie française : « [S']éprendre d'une façon soudaine et passagère, engouement. […] Personne qui est l'objet d'une passion soudaine, d'un vif engouement. »

Jusque-là nous avons un vif sentiment amoureux (intensité) mais passager (temporalité), et par métonymie désignant la personne visée par ce sentiment. Mais j'aimerais ajouter le Wiktionnaire qui n'a pas l'aura d'autorité de ses aînés, mais qui a le mérite de dérouler ses sources : « 1. Affection soudaine pour quelqu’un, tocade. […] 2. (Populaire) Soupirant. » Suivent trois extraits de trois œuvres différentes allant dans ce sens, de 1911 à 1943 (https://fr.wiktionary.org/wiki/b%C3%A9guin).

Il existait donc un monde, pas si lointain, où béguin désignait à la fois ce vif sentiment amoureux passager, la personne visée par ce sentiment, et la personne qui éprouve ce sentiment, là où crush se limite aux deux premières acceptions. Mais est-ce réellement le cas ? Encore une fois, le wiktionnaire donne des extraits pour crush (https://fr.wiktionary.org/wiki/crush) :

Suis-je moi-même réellement amoureuse ? J’ai eu des crushs ici et là, mais rien de très intense. Rien d’aussi renversant que cette histoire ! — (Liv Stone, The Horsemen Ride Conquest, Éditions Addictives, 2019)

Bon d’accord, j’ai un crush massif depuis plus d’un an. J’en rêve la nuit, c’est devenu une obsession... (Amy Hopper, Le Coloc, Éditions Addictives, 2019, chap. 2)

Je n’ai pas honte d’avouer qu’à ce moment là, je l’ai trouvée attirante. Oui, c’est une fille, et moi aussi je suis une fille, mais on peut apprécier les belles choses. Et puis si Sara a le droit d’avoir un crush pour Mila Kunis, j’ai bien le droit d’avoir un crush pour Aiden. — (Erwan Ji, J’ai avalé un arc-en-ciel, Éditions Nathan, 2016)

On voit là qu'un crush est une « attirance » qui peut être sexuelle, amoureuse, voire esthétique ; qui n'est généralement « [pas] très intense » (auquel cas l'on précise qu'il est « massif », qu'il est devenu « une obsession », autre chose que ce qu'il était) ; et qui peut durer « plus d'un an ». On est loin de l'intensité d'une « passion » qui se déclencherait « soudainement » mais qui ne serait que « passagère ». Au-delà de ça, la caractéristique principale du crush est qu'il s'agit d'un désir inavoué, là où le fait même que béguin ait une acception en soupirant montre que ce pan conceptuel n'est même pas effleuré :

Il entrait dans une salle de restaurant, la tête haute, le chapeau en arrière, et aussitôt, dans quelque groupe joyeux, il se trouvait toujours une belle femme pour dire : « Tiens, voilà mon béguin. » — (Valery Larbaud, Fermina Márquez, 1911, réédition Le Livre de Poche, page 39)

Un crush, alias la personne sur qui l’on a jeté son dévolu amoureux sans le lui avouer, on en a toutes plus ou moins déjà eu. (Margaux Palace, Les trucs les plus débiles que j’ai faits pour attirer l’attention de mon crush, madmoizelle.com, 14 février 2017.)

Crush est donc un terme qui n'avait pas d'équivalent en français, qui désigne un concept différent de celui de béguin, même s'ils sont similaires. Il faut donc le prendre non comme un anglicisme (et l'on a vu à quel point cet argument était faible) mais comme un néologisme.

Mesdames et messieurs les droitardés, vous avez accepté l'epistémè de Foucault. Vous avez accepté les néologismes que Lyotard et Derrida pondaient en changeant une lettre d'un mot. Quoi, ces références sont trop à gauche ? Vous étiez où lorsque l'on ne trouvait pas de traduction correcte au Dasein de votre copain Heidegger, obligés que sommes d'utiliser être-là, avoir-à-être, Être-au-monde, Être-jeté, être-le-là toutes les deux lignes du moindre commentaire si l'on ne veut pas faire entrer le moindre terme allemand dans la langue ? Pourquoi des néologismes comme dévalement ou existential (et son pluriel existentiaux) sont-ils acceptables à vos yeux lorsque crush ne l'est pas ?

C'est là le problème lorsque l'on se pique de figer une langue, n'en acceptant aucune variation perçue comme nocive : encore faudrait-il que cette langue soit parfaite, qu'elle soit en mesure de décrire des concepts qui ont été, mais également ceux qui ne sont pas encore… (Pour les platoniciens dans la salle : décrire les Idées que l'esprit humain a pu toucher de son entendement, comme celles dont il ignore encore l'existence.)