Nocline 🌬🍂• La Bombe Humaine♅✨• (@Nervia_Nocline): "Je t'ai mentionné notamment pour cette histoire d'épistémologie 😉 mais well tout ce qui te semble juste est le bienvenu ?" / Twitter

Epistemology 101 : est-ce que la philosophie est légitime à parler des sciences ? La philosophie n'est pas une science dure, et sa place en tant que science humaine reste débattue au sein même de la philosophie. Donc je vais pas trancher le sujet entre la cuisson des pâtes et l'heure du téléfilm.

Avis personnel : la philosophie peut être considérée comme science humaine sous trois aspects.

  1. L'histoire des idées, qui a une méthode scientifique proche de celle de l'histoire. Telle personne a eu telle influence sur telle autre, ce qui est révélateur de telle idéologie dominante à telle époque.
  2. Les outils et les sous-bassements des sciences. Pas de méthode scientifique sans réflexion sur ce qu'est la vérité, si elle peut être atteinte par la raison, comment l'atteindre, quelles sont les limites, etc. Ça paraîtra absurde à beaucoup, mais le fait même que la physique arrive à dater le Big Bang est un problème de philosophie contemporaine : il existe un monde en-dehors de nos perceptions, les facultés humaines sont capables d'atteindre ce monde et d'avoir un énoncé valide d'un temps d'avant les perceptions. Trois points déjà débattus et sur lesquels on continuera de débattre (voir à ce sujet la discussion Merleau-Ponty–Ayer rapporté par Bataille, ou les travaux de Meillassoux). Au-delà de ça, les outils logiques apportés par la philosophie servent la rigueur scientifique (c'est tout le propos de Lordon dans La Société des affects d'ailleurs).
  3. Aspect positiviste : synthèse des sciences en un modèle commun. C'est le projet d'un Auguste Comte ou du couple Marx-Engels mais surtout d'un Bertrand Russell (et dans une moindre mesure, de Bourdieu que les sociologues apprennent à détester mais qui pour moi était un véritable philosophe), mais c'est également ce qu'il se passe déjà dans le monde scientifique.

Le calendrier cosmique de Carl Sagan n'est pas autre chose qu'un bout de philosophie positiviste vulgarisée. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Calendrier_cosmique_de_Carl_Sagan

Maintenant, je veux bien que l'on me rétorque que la sociologie est mieux lotie. C'est vrai. Reste que sa scientificité pourrait être tout autant mise à mal si l'on appliquait le critère de réfutabilité de Popper au sens strict (cf. Passeron, Le raisonnement sociologique, Ricœur Science et Idéologie). Et si l'on considère les sciences économiques comme des sciences (ce qui est pas mal discutable), la philosophie a autant sa place comme science des idées humaines.

Voilà pour la scientificité de la philosophie. Maintenant, qu'elle soit scientifique ou non, elle est parfaitement légitime à étudier les formes de discours, les idéologies, les sophismes et les dogmes qui en découlent. Par exemple, lorsqu'iels tombent sur une phrase comme « X n'existe PAS », répétée en boucle, les philosophes vont se demander de quel X on parle, de quelle existence on parle, mais également pourquoi cette répétition. On peut se dire tout simplement que la répétition est là par réaction à un énoncé contraire auquel on n'adhère pas. Soit. Mais dans ce cas, pourquoi devrait-on adhérer à cet énoncé-ci plutôt qu'à l'autre ?

Quod gratis asseritur gratis negatur, ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve, nous dit la règle épistémologique. À la demande de preuves, ou du moins d'information, on nous répond qu'il suffit de se documenter par soi-même, et que les militant•e•s sont fatigué•e•s de se répéter. Soit. Il faut avouer que devant une telle réponse, on peut en venir à se demander pourquoi militer activement si l'on ne veut pas faire de pédagogie. On peut également se demander pourquoi diable les militant•e•s n'arrivent pas à convaincre, s'il suffit de se documenter et que ce n'est qu'une question de bon sens mainte fois débattue. Peut-être, j'emets l'hypothèse, que l'argumentaire n'est pas le bon, en fait.

Parce que lorsque l'on va voir en face, où « X existe », on remarque qu'il ne s'agit pas du même X. Le racisme anti blanc ? Quand une personne racisée en appelle au génocide des blancs. Le sexisme inversé ? Quand entre 40 et 70 % des violences sur les hommes sont le fait de femmes, selon les contextes. La cisphobie et l'hétérophobie ? Quand quelqu'un en appelle à « brûler tous les cishets ». Bref, nous voyons ici des cas où les discriminations ou les discours haineux sont conformes aux définitions courantes et juridiques de X, mais où les militant•e•s s'en tiennent à une définition sociologique. Celle-ci est généralement dérivée de la définition du racisme de Patricia Bidol : préjudice et pouvoir (https://en.m.wikipedia.org/wiki/Prejudice_plus_power).

Nous avons donc des militant•e•s qui parcourent les internets clamant que « X n'existe pas », et qui, confronté•e•s à l'existence de X sur le terrain individuel et juridique, se retranchent derrière une définition sociologique qui n'a effectivement pas de portée sur ce terrain. C'est un jeu sans cesse répété, et cette répétition est symptomatique des problèmes d'argumentaires des militant•e•s. Donc pourquoi cette répétition ? Comme exercice spirituel, à la Hadot, pour ne pas dévier du chemin ? Comme slogan à la Bernays ou Chomsky, parce que c'est simple à dire et à mémoriser ? Comme mèmes de la théorie memetique ? Pourquoi ne pas admettre que X n'existe pas au niveau social mais est bien présent au niveau individuel et juridique ? Au-delà de la simple interdiction de « l'humour militant », il semble y avoir une volonté d'éviction d'un système judiciaire jugé défaillant.

Le problème de définir le X comme Patricia Bidol, en excluant tout niveau individuel, est qu'il devient un sujet social qui ne peut être résolu par le droit. Le droit va punir les individus, donc les actions individuelles dans un cas particulier. En plaçant l'accent sur le social, en particulier le pouvoir, le droit ne peut punir le X qu'en analysant l'état global de la société et de ses jeux de pouvoir, ce qui n'est pas son rôle, et rend de toute manière son action bien plus complexe. Extraire la possibilité de l'action du droit, voilà le problème de définir ainsi le X. De là, il sera simple d'argumenter que le droit, et par extension l'État, est impuissant, voire laisse délibérément passer les dérives, et que la seule issue possible est la lutte sociale. Il n'est alors pas étonnant de voir les critiques avancer que cette redéfinition des termes n'est là que pour justifier de l'existence des militant•e•s, to push an agenda comme disent les anglo-saxons. Sans aller jusque-là, et parce que le rasoir d'Hanlon a déjà fait montre de son utilité, je pense que les militant•e•s utilisent ce court-circuit en toute bonne foi sans en saisir pleinement les enjeux.

Donc est-ce que X existe ou non ? Ce n'est pas à moi de trancher. J'estime cependant que lorsque les tenant•e•s de l'existence de X placent le débat à un niveau et que leurs opposant•e•s se retranchent sur le niveau qui semble les arranger mais qui n'a rien à voir, il y a un problème de communication. Et ce n'est pas en assénant de façon péremptoire une vérité répétée que ce problème de communication se réglera. Militant•e•s, vous êtes fatigué•e•s de vous répéter ? Essayez de comprendre véritablement et profondément vos critiques, vous verrez qu'elles aident à progresser.

Jean MESSIHA (@JeanMessiha): "Le lobby LGBT pousse la loi à criminaliser le désir homme-femme pour que les hommes ne regardent que les hommes et les femmes ne…" / Twitter

Et c'est le BINGO ! Bravo pour cette magnifique performance du délégué en Études et Argumentaires du Rassemblement National, il ne manquait que le mot France pour que la rhétorique absurde soit complète ! On l'applaudit bien fort, s'il vous plaît.