[TW rien du tout]
Aujourd'hui, c'est le jour que j'avais choisi pour mettre un terme à mon existence.
Une date sans signification, une date sans anniversaire. Le pire, c'est que je n'ai pas plus de raison de continuer qu'avant.
Je sais même pas pourquoi je ne me laisse pas tout simplement mourir. Mes affaires sont en ordre. Les notes écrites.
Je sais pas ce qui me retient. Quatre jours encore, et je n'aurai plus rien à faire.
Je sais pas pourquoi je vous dis tout ça. Je vois pas ma psy avant deux semaines. Et elle ne me sera pas utile. Je sais ce qu'elle répondra.
Si j'étais certain qu'on entendrait cet appel, je ferai une TS.
Mais tout ce que ça m'apporterait c'est deux semaines à l'hosto sans voir personne.
En un mois ma famille n'a lu qu'une dizaine de pages de TMT. Donc faut même pas espérer qu'elle essaie de comprendre. Elle s'en fiche.
C'est la perspective de souffrir de ma disparition qui lui fait peur.
J'ai bien des amies qui comprennent, mais elles ne peuvent pas grand-chose.
J'ai anticipé tout ça il y a plus de 6 mois. On arrête pas de me dire que tant que j'essaie pas je peux pas savoir.
Ah ? Tu as jamais essayé le cyanure, tu peux pas savoir si ça va te tuer. C'est d'une idiotie.
L'humain a pour avantage sur l'animal sa capacité à anticiper. Qu'on lui demande de pas s'en servir c'est vachement con.
J'avais anticipé tout ça il y a plus de 6 mois. Je savais qu'au mieux la perspective serait de continuer dans un appart. Seul.
Ramper pendant des mois voire des années pour me sentir mieux. Seul. Ne pas connaître d'intimité, ne plus connaître de sexe.
Des amies lassées de me voir comme ça. Dont je me coupe volontairement. Pour pas être la personne qui leur plombe l'humeur.
Elles ont d'autres chats à fouetter, bien plus importants. Et expliquer tout ça en séances trop courtes de 45 min de psy.
Pour qu'au final elle ne m'aide pas. Pas de médocs non plus. Pas que j'en demande, 'façon.
Oh, je savais qu'on tenterait sans doute de m'aider. Mais qu'au final tout mènerait à ça.
Et vous savez quoi ? C'est précisément ce qui s'est déroulé. Comme quoi soit c'est une prophétie autoréalisatrice.
Soit je sais déduire les réactions de personnes qui me sont proches. Choquant, non ?
J'ai pas plus de raisons de continuer qu'il y a 3 ou 6 mois. J'en vois même pas l'intérêt.
Noc' veut que je continue, elle m'intégrerait à la meute à la rentrée. Je sais pas.
Être un parasite suceur de relations sociales, d'amitiés que je n'ai pas tissées… Espérer que ça suffira à me reconstruire… Je sais pas.
Il serait plus simple pour tout le monde que je disparaisse avant. Au moins elle sera pas seule.
Elle – et d'autres – me font comprendre que je m'accroche au désespoir. Certaines subtilement, d'autres non. Je sais.
Mais c'est pas tant qu'il est réconfortant, c'est que je sais ce qui m'attend.
Vous avez vos études. Vous avez vos amant·es. Vous avez vos maris. Vous avez vos jobs.
Moi je n'ai qu'une rééducation sur un an minimum. Oh, j'irai mieux ensuite. Oui, c'est certain, je rirai, je serai plein de vie.
Jusqu'à ce que vous retrouviez un cadavre aux commissures mousseuses dans mon appart.
Parce que tôt ou tard reviendra la constatation que je ne peux pas continuer à vivre.
Que même si je ne le montre pas, je meure à petit feu à la vue de chaque câlin. De chaque baiser. De chaque scène de sexe.
De chaque moment d'affection.
Mais aussi de chaque petite injustice. De chaque foutage de gueule politique. De chaque migrant empoisonné.
De chaque lesbienne jetée à la rue.
La solution qu'ont trouvé les autres, vous, c'est de s'en foutre de tout ça. Ou de simplement s'indigner IVL. Bah pas moi.
Ajoutez à cela qu'on me pousse à bosser « pour un patron, hein ». « Tu pourras toujours continuer d'étudier et d'écrire à côté. »
Ah parce que quand toi tu rentres du boulot tu fais autre chose que mater la télé ?
T'es déjà trop crevé pour faire quoi que ce soit, tu as abandonné tes passions.
C'est me prendre pour un con que de me faire croire qu'il en sera autrement pour moi. Ou un surhomme, au choix. Non.
C'est pas une question d'estime de soi. C'est une question de deuil. Je refuse de faire le deuil d'un avenir.
Je vois pas pourquoi d'autres plus cons, plus manipulateurs, plus meurtriers, plus abrutis, plus imbéciles, plus moches, plus égoïstes, plus feignants, moins matures, etc. auraient droit à un avenir grégaire et confortable pendant que je reste à contempler ma solitude.
Voire à me sacrifier pour eux. Ce n'est pas juste.
La première personne à me dire que c'est là un caprice de gamin gagne son nom sur la lettre de suicide.
Parce que franchement si ne serait-ce qu'un quart des gens avaient ce caprice, et se bougeaient le cul pour rendre le tout plus juste, le monde serait pas la sombre merde qu'il est devenu. C'est pas ma faute. C'est notre faute, collectivement. À vous aussi. À nos parents.
À nos aïeux.
La différence avec le gosse, c'est que moi j'en prends la responsabilité.
Je vois pas de solution.
Pas de solution pour changer le monde.
Pas de solution pour changer votre rapport au monde.
Pas de solution pour changer mon rapport au monde.
Pas de solution pour que ce soit plus juste.
Je vais servir à rien. Tout au mieux vais-je écouler mille bouquins dans ma vie. Pas de quoi changer le monde. Pas une solution.
Travailler pour une association, une ONG ? Les Restos ont 30 ans, il y a plus de SDF que jamais.
Mettre une bassine sous le trou de la toiture. Je crache pas dessus, mais faudrait réparer la toiture, non ?
Alors merde.
Je peux pas rendre le monde plus beau, plus juste.
Je peux pas m'en foutre comme les autres.
Je peux pas faire de chemin autre que seul.
À quoi bon continuer ? Dites-moi. Je demande qu'un espoir. Un que je ne peux balayer d'un revers de la main.
Mais pour le moment personne ne m'en donne. Ce serait même l'inverse. On me dit d'attendre et de voir. Non. Je peux plus.
Donnez-moi une raison de vivre, maintenant. Parce que demain il est possible que je ne sois plus là.